Charbonnières-les-Varennes : au nom de la rose (suite)

 

         Au jeu du "Si j'étais...", je sais que si j'étais institutrice, j'emmènerai souvent mes élèves à la Rose des Prairies. Car qu'elles jolies leçons d'histoire, de géographie et de littérature seraient données à l'écolier à travers l'étude  du nom des roses. En ce lieu enchanté qui méprise l'ennuyeuse réalité, la Duchesse de Montebello voisine avec Louis-Philippe, Ispahan s'aperçoit depuis l'Ile de Ré, et, dans un coin de la roseraie, Guy de Maupassant, Honoré de Balzac et William Shakespeare ont depuis longtemps déjà entamé un fructueux dialogue à trois voix. il faudrait peu de chose, une imagination un tantinet fertile pour inventer, recréer, revisiter la chronologie du monde à la manière des roses et jeter les prémices de la conversation qui pourrait s'engager, à la nuit tombée, entre Charlemagne et Léonard de Vinci. Quand au cardinal de Richelieu, aurait-il eu des problèmes circulatoires pour voir une rose violette porter son nom? Louis Stevenson n'a pas de rose à son nom, mais Long John Silver si, dont les pétales immaculés contrastent avec la noirceur réputée de son âme. Roses des rois, roses des peintres, on les rencontre en flânant dans les vastes allées de cette roseraie, parfois associées à d'autres plantes communes, comme cette rubrifolia qui tresse sa tige à celle d'une clématite, laquelle possède aussi des fleurs en étoiles. Ici une nigelle de Damas, là une glycine du Japon, et plus loin des paulownias et leurs fleurs mauves en forme de clochettes. Les fillettes d'autrefois s'amusaient à les enfiler sur le bout de leurs doigts pour jouer aux "mains de fées". Il y a aussi, juste à côté de la roseraie, un autre jardin plus secret, qui doit sa géographie particulière à la chute impromptue d'une grosse branche de saule pleureur. L'ombre ainsi créée protège les pivoines et les hellébores et il suffit de lever la tête pour découvrir ici aussi des roses qui ont grimpé le long du tronc jusqu'au sommet. Plus loin, près du potager, un petit tas coloré livre les ingrédients de la recette du sirop de roses telle que la jardinière l'élabore à la belle saison, mais on devra se contenter de ce que l'on aperçoit, des pétales écrasées et des rondelles de citron, on n'en saura pas plus, pour le reste il faut deviner.

         "Je te vois, rose, livre entrebâillé de tant de bonheurs détaillés." Ainsi le poète Rilke saluait-il la reine des fleurs et, par corolles interposées, celles et ceux qui la sauvent aujourd'hui encore de l'abandon et de l'anonymat, en la croisant sur le bord d'une route ou près du mur d'un cimetière ancien. Car l'histoire des roses, c'est aussi l'histoire des hommes, de ceux qui, soldats ou explorateurs, rapportèrent de leurs voyages de minuscules boutures enveloppées d'un chiffon mouillé. Ceux qui, botanistes et jardiniers, consacrèrent des heures, des jours et des années, à apprendre, comprendre et apprivoiser la rose dans tous ses états. Reste à Catherine à dépasser son statut d'érudite et de passionnée pour ajouter, à son tour, une nouvelle page à la grande encyclopédie de la fleur. Dans les pouponnières qu'elle a installées ici et là dans sa roseraie, elle s'essaie à créer une nouvelle variété. Mais chut, c'est encore un secret.

<<<< précédent

Retour La Rose des Prairies